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Langue d’Oc : une ou plusieurs

La langue, une réalité dans l’espace et dans le temps

Les troubadours sont l’illustration éclatante de l’unité dans la diversité de la langue d’Oc au Moyen Âge, mais les textes médiévaux prouvent aussi l’unité de la langue d’Oc aujourd’hui. Ce n’est pas la même forme de langue, mais c’est la même langue. Une personne d’aujourd’hui connaissant convenablement n’importe quelle variante de la langue d’Oc actuelle peut lire la langue d’Oc du Moyen Âge dans le texte, pour peu qu’elle soit un peu cultivée. Naturellement, il faut consentir l’effort de se familiariser avec les archaïsmes de langue, un univers et des mentalités disparus. La poésie n’est pas d’accès facile, dans des genres poétiques parfois savants. Certaines oeuvres sont plus aisément abordables (par ex. le célèbre roman de Flamenca).
L’écrit normal, utilitaire, souvent moins difficile, est une preuve encore plus manifeste de l’unité de la langue dans le temps et dans l’espace. Il s’est développé au Moyen Âge exactement comme l’écrit en français dans sa zone linguistique et de façon semblable (à côté de l’écrit en latin partout majoritaire) : textes administratifs et juridiques, règlements divers, livres de commerce, ouvrages techniques ou savants, etc. L’élévation récente du niveau d’éducation et le changement du goût de l’histoire (pour la vie des hommes plus que pour les « grands événements » auparavant mythifiés) font qu’on se passionne pour les textes anciens. On en édite d’un bout à l’autre des régions d’Oc.

Que negun òme ni deguna femna non ause versar ni gitar fems ni escobilha ni tèrra ni aigas en las carrièras de la davandicha ciutat, exceptat aiga per enrosar d'estiu e exceptat aiga per lavar ampolas o autre esplech per portar vin. ampolas : bouteilles, fioles. (L’hygiène publique au XIIe s., Archives Municipales de Narbonne)
Que negun òme ni deguna femna non ause versar ni gitar fems ni escobilha ni tèrra ni aigas en las carrièras de la davandicha ciutat, exceptat aiga per enrosar d'estiu e exceptat aiga per lavar ampolas o autre esplech per portar vin. ampolas : bouteilles, fioles. (L’hygiène publique au XIIe s., Archives Municipales de Narbonne)

« L’occitan a été la première langue romane a connaître un usage administratif (la première charte entièrement rédigée en occitan date de l’an 1102 et est originaire de Rodez ; elle est presque antérieure d’un siècle à la première charte écrite en français). »G. Kremnitz

La graphie n’est pas la langue. Elle n’en est que le vêtement. On peut écrire un même texte de n’importe quelle variante de la langue dans des graphies différentes sans modifier en rien sa forme de langue ni sa prononciation. Que, pour la langue d’Oc moderne, on préfère la graphie mistralienne (graphie de Roumanille) ou la graphie originale restituée (graphie d’Alibert), l’unité de la langue dans l’espace et dans le temps est un fait.
Toute orthographe est à la fois phonologique, étymologique, grammaticale, signifiante (en proportion variable selon les langues), outil matériel d’écriture (avec les contraintes pratiques de l’écriture manuelle et de la typographie). Toute orthographe évolue dans le temps et est toujours en partie conventionnelle. Par fonction, l’écriture généralise ce que la prononciation particularise. Une même écriture recouvre des prononciations différentes.
L’orthographe est le contraire d’une prononciation figurée. Elle cristallise l’unité de la langue (elle aide les gens à bâtir le concept de langue, qui n’est pas du tout inné). La prononciation de la langue d’Oc a évolué comme celle de toute autre langue, mais on peut parfaitement lire la langue du Moyen Âge avec la prononciation actuelle. On ne lit pas Racine avec la prononciation du temps de Louis XIV.

MISTRAL lui-même

Frédéric Mistral, le plus grand nom de la renaissance d’Oc du XIXème s., est un maître de la langue, écrivain de génie mais aussi auteur d’un magnifique dictionnaire (publié de 1879 à 1886) qui donne les mots de l’ensemble de la langue d’Oc de son temps.

Frédéric MISTRAL (1830-1914) Prix Nobel de littérature, l’un des fondateurs du Félibrige.
Frédéric MISTRAL (1830-1914) Prix Nobel de littérature, l’un des fondateurs du Félibrige.
Le grand dictionnaire Provençal-Français de Frédéric MISTRAL ne laisse place à aucune ambiguïté. Il entend bien par provençal la langue d’Oc, et il s’agit bien d’une seule langue, composée de dialectes variés (dialecte étant pris dans son vrai sens linguistique de « variante constitutive d’une langue », et non pas de « langue inférieure »). Le Tresor de Mistral est une somme admirable de près de 2400 p. sur trois colonnes, œuvre de vingt ans de travail.
Le grand dictionnaire Provençal-Français de Frédéric MISTRAL ne laisse place à aucune ambiguïté. Il entend bien par provençal la langue d’Oc, et il s’agit bien d’une seule langue, composée de dialectes variés (dialecte étant pris dans son vrai sens linguistique de « variante constitutive d’une langue », et non pas de « langue inférieure »). Le Trésor de Mistral est une somme admirable de près de 2400 p. sur trois colonnes, œuvre de vingt ans de travail.

Avant Mistral

L’oeuvre de Mistral et le Félibrige montrent l’unité de la langue d’Oc, mais la préface de l’édition de 1785 du Dictionnaire Languedocien- Français de l’abbé de Sauvages atteste qu’elle était un enjeu auparavant.

Langue d'Oc

Dictionnaire Languedocien-Français de l’abbé de Sauvages
Dictionnaire Languedocien-Français de l’abbé de Sauvages

La langue et sa reconnaissance

De Sauvages consacre son dictionnaire à la variante languedocienne, mais il affirme l’unité de l’ensemble de la langue dans l’espace comme dans le temps. Il est pourtant gêné pour nommer la langue moderne.
La fin du XVIIIème s. est une époque charnière. Avec les Lumières, puis le début de l’époque industrielle, on applique l’esprit scientifique à l’histoire, aux textes, à la langue elle-même. On remet en usage l’appellation langue d’Oc (nullement traditionnelle, car pratiquement abandonnée depuis Dante) …mais uniquement pour la langue ancienne, que l’étude et l’édition de textes rendent présente, de mythique qu’elle était auparavant.
L’appellation traditionnelle de la langue moderne était gascon, depuis Henri IV (Molière : « une Gasconne de Pézénas » – près de Béziers) ou plutôt idiomes gascons, parlers gascons, patois gascons… : car on cherchait à nier à toute force l’unité, la spécificité et l’égalité de nature de la langue d’Oc moderne avec le français.
Pourquoi ? Parce qu’on croyait naïvement qu’une langue est « d’un roi » et « de la Cour », et les dialectes « des provinces » et « du bas peuple ». Une « langue » devait forcément avoir les attributs du pouvoir : l’usage officiel,
la capitale, l’usage écrit, une grande littérature, un usage international. Les « dialectes » provinciaux étaient forcément « dégradés » par les usages du « bas peuple », oraux par nature, « locaux » et « non réglés ». Les a priori politiques et sociaux interdisaient de reconnaître la langue d’Oc contemporaine dans son unité et sa nature.
Discours sur l’universalité de la langue française de Rivarol (1784) : « [En France], les patois […] sont abandonnés aux provinces et c’est sur eux que le petit peuple exerce ses caprices, tandis que la langue nationale est hors de ces atteintes. […] Les styles sont classés dans notre langue comme les sujets dans notre monarchie. […]
Racine et Boileau parlent un langage parfait dans des formes sans mélange, toujours idéal, toujours étranger au peuple qui les environne. » La langue « nationale » n’est pas celle du peuple : c’est celle de ses maîtres.
La « langue » (le « français »), élaborée par les lettrés (issus des catégories dominantes et pour leur service) est un sous-dialecte social, forme du dialecte francilien travaillée depuis des siècles pour être différente de la forme de langue des gens de la rue, et consacrée par l’usage écrit.
L’orthographe du français résulte en partie de cette volonté de différenciation (et pas seulement de l’évolution atypique de la phonologie du français).
L’Académie française (créée par Richelieu, homme du pouvoir) désire suivre « l’orthographe qui distingue les gens de lettres d’avec les ignorants et
les simples femmes. » (Dictionnaire de l’Académie). Ce n’est qu’une des manifestations de la coupure recherchée par rapport à la langue réelle de la
population dans la zone du français. La bourgeoisie a récupéré ce français de pouvoir, et quand, pour les besoins de l’ère industrielle, elle a démocratrisé l’instruction, elle l’a érigé en modèle pour le peuple, non par volonté démocratique, au contraire : comme moyen de sélection.
L’idéologie langue française=« unité »+« universalité »+« modernisme ») opposée à langue d’Oc=« diversité »+« localisme »+ « passéisme » est un besoin du nationalisme français. « Explication » : la prétendue « dégradation » de la langue d’Oc. C’est comparer ce qui n’est pas comparable : une forme officielle de langue, écrite et enseignée, et les formes orales d’une langue infériorisée. Avant les effets de l’ère industrielle, le français dans sa réalité parlée était aussi diversifié que la langue d’Oc et avait autant évolué qu’elle. Il continue. Le français réel n’est pas celui de l’Académie.

La reconnaissance de l’unité de la langue d’Oc a été le grand enjeu du XIXème siècle.

Ce sont les Provençaux qui l’ont gagné

De Sauvages ajoute : « [De cette consanguinité] il résulte que non seulement le provençal mais généralement tous les idiomes gascons [=les parlers] de nos provinces méridionales sont du ressort de ce dictionnaire ; et qu’ils viendront comme naturellement se ranger sous le titre qu’il porte si un amateur intelligent et zélé veut un jour prendre la peine de les y rassembler. » Ces « amateurs » seront deux, le Provençal Honnorat, soixante ans après, puis le Provençal Mistral, quarante ans plus tard – assez « intelligents » et « zélés » pour « prendre cette peine » : plusieurs dizaines d’années de travail pour l’un comme pour l’autre. Ces mots ont un sens fort.